De la signification de l’Isrā’ et du Miʿrāj dans le soufisme

Extrait d’un article* du Professeur Muhammad ‘Abdul Haq, professeur agrégé du Département d’Histoire et de Culture islamiques à l’Université de Chittagong, au Bangladesh.

« Le Voyage Spirituel et l’Ascension céleste de Muhammad (que la paix et la bénédiction d’Allāh soient sur lui – ﷺ), connu dans la terminologie islamique sous le nom d’al-’Isrā’ wal-Miʿrāj, est considéré par les musulmans en général comme un événement unique dans l’histoire religieuse de l’humanité et comme une réalisation miraculeuse appartenant exclusivement [au Messager de l’islam ﷺ].

Mais les soufis le considèrent quant à eux également comme le point culminant de toute spiritualité ou pour le dire autrement, comme l’état ultime du Tawḥīd (réalisation de l’Unité divine), totalement réalisé par le Prophète de l’islam (ﷺ), et qui ne pourra jamais être atteint par tout autre Prophète ou Ange (que la paix d’Allāh soient sur eux).

La plupart des chouyoukh (enseignants à la tête d’une école) soufis abordent cet événement sous différents angles de vision, en s’attardant sur le sens le plus profond de ses divers aspects et dimensions. Une doctrine complète concernant l’al-’Isrā’ et le Miʿrāj a émergé de la sorte chez les Soufis, une doctrine profondément riche en connaissances spirituelles et en sagesses.

On commettrait une grave erreur, si on considérait ce Voyage et cette Ascension comme un simple trajet d’un endroit à l’autre, ou en l’assimilant au vol spatial issu de la modernité technologique humaine. En réalité, il s’agit essentiellement d’un voyage prototypique, à la fois physique et spirituel, terrestre et céleste, ascendant au-delà des domaines mondains du Temps et de l’Espace.

Expérience vécue d’une réalisation totale, à la fois intellectuellement et ontologiquement, elle traverse toutes les gradations et hiérarchies existentielles, culminant en une rencontre décisive et bienheureuse entre l’homme et le Divin, ou entre Muhammad (ﷺ) et Allāh (ﷻ), Seigneur des Mondes.

La signification la plus profonde de cette rencontre réside dans le fait que la présence physique spirituelle du Prophète (ﷺ) devant Allāh (ﷻ), renvoie d’une part à la restauration de l’état paradisiaque ou du lien direct avec Allāh (ﷻ) – qui avait été rompu avec l’expulsion d’Adam du Paradis -, et pointe d’autre part vers [la promesse d’]une résurrection physique de l’humanité.

En bref, l’’Isrā’ et le Miʿrāj constituent un voyage total et complet, et il préfigure symboliquement en ce sens tous les aspects possibles de l’ʾIslām : Sharīʿa (Loi) et Ṭarīqah (Voie), les aspects terrestres comme célestes, l’Ici-bas et l’Au-Delà, etc.

De la même façon que l’’Isrā’ et le Miʿrāj débutent à partir de la Kaʿba terrestre pour s’achever dans la Kaʿba Céleste (le ‘Arsh ou Trône d’Allāhﷻ) – dont la Kaʿba terrestre est le reflet symbolique -, semblablement l’ʾʾIslām commence également avec Allāh (ﷻ) et se termine avec Lui.

Autrement dit, le voyage de l’’Isrā’ et du Miʿrāj représente, dans un sens plus profond, le pèlerinage ultime vers Allāh (ﷻ), vis-à-vis duquel le pèlerinage terrestre constitue l’imitation symbolique. Car dans le pèlerinage à la Kaʿba, une personne se déplace de sa maison à la Kaʿba, tandis que dans l’’Isrā’ et le Miʿrāj, le Prophète (ﷺ) s’est déplacé de la Kaʿba vers Allāh (ﷻ), Seigneur de la Kaʿba.

Ce périple constitue en même temps un pèlerinage vers la Kaʿba intérieure de chacun, ou vers la profondeur trans-personnelle de notre propre cœur, qui est la Kaʿba du cœur humain, Siège d’Allāh (ﷻ).

De même, le voyage de l’’Isrā’ et du Miʿrāj représente, dans un sens plus profond, la Grande Guerre Sainte, al-jihād al-Akbar, mentionné par le Prophète (ﷺ) dans un ḥādīth célèbre, jihad mené intérieurement, contre l’âme (nafs) humaine sujette à la tentation et [contre l’emprise] du Monde séduisant ; guerre de l’âme à la recherche d’Allāh (ﷻ), à travers les 70.000 voiles – lumineux comme ténébreux – qui nous Le (ﷻ) cachent.

Pour pousser le développement plus loin, ce Voyage représente, non seulement symboliquement mais aussi bien dans son essence même, la prière rituelle (ṣalāt) dans sa forme potentielle la plus ultime, ou sous sa forme prototypique dont notre prière rituelle quotidienne n’est que la simple imitation.

Car le voyage de l’’Isrā’ et du Miʿrāj, a finalement abouti à une rencontre directe avec Allāh (ﷻ), à une expérience d’Éternité et d’Infini – paradisiaque. Cette expérience suprême peut être actualisée par tout le monde dans prières rituelles, comme à travers la réalisation de l’ʾiḥsān (un acte de soumission totale avec une attention sans partage).

C’est ce qui est d’ailleurs affirmé dans le célèbre ḥādīth suivant :

“La Prière rituelle équivaut à l’Ascension céleste du croyant”.

L’’Isrā’ et le Miʿrāj préfigurent donc tous les aspects possibles de l’ʾIslām. Ce périple totalisant fut à la fois physique et spirituel, terrestre et céleste, exotérique et ésotérique, microcosmique et macrocosmique… »

*: Traduction française par l’équipe de VSMB d’un article paru en anglais, dans l’Islamic Quarterly, Vol. 34, No. 1 (1990), pp. 32-58.